La "garçonne" est avant tout synonyme de liberté à une époque où les femmes ont montré qu'elles étaient capables de vivre seules, de travailler à des postes souvent réservés aux hommes durant la première guerre mondiale. Tout d'abord méprisée par des auteurs comme Huysmans à la fin du 19e siècle ou ceux du groupe des surréalistes, cette figure phare des années 20 aura gravé dans les esprits l'image d'une silhouette androgyne, oscillant entre lesbiannisme et pluri-amours comme si, et c'est encore le cas au moment où j'écris, une femme aux cheveux courts est forcément lesbienne ou anti-hommes. C'est pourquoi ces "garçonnes" revendiquent tout d'abord la liberté de mouvements qui s'inscrit dans le droit à porter des vêtements d'hommes et des cheveux courts, bien plus pratiques pour travailler, se déplacer (notamment à bicyclette). Mais si l'égalité en droits des hommes et des femmes passe par la tenue vestimentaire, il est aussi question de la liberté de moeurs et celle relative à la vie sociale et politique. Qu'il s'agisse de sexualité, de l'usage du langage, des études ou du droit de vote, les "garçonnes" revendiquent le droit de jurer, fumer en public, d'aimer qui elles veulent, de sortir non accompagnées et de décider d'avoir ou non des enfants, à l'instar des hommes. Et contrairement à l'image que les détracteurs veulent donner de ces femmes (des hommes et des femmes, mais aussi les différents partis politiques, de gauche comme de droite, des écrivains), celles-ci ne sont pas nécessairement lesbiennes, droguées ou débauchées : "La femme émancipée, dont les moeurs sont aussi suspectées, transpose cette masculinité dans sa vie et ses ambitions féministes : l'égalité des sexes apparaît pour le plus grand nombre comme une négation de la "féminité" et comme une volonté d'imiter les hommes jusque dans leurs prérogatives politiques et sociales. L'offensive antiféministe confond délibérément ces deux "dénis" de féminité dont la "monstruosité" se lit dans des apparences jugées contre nature et disgracieuses".
Ainsi, la mode et le cinéma n'ont pas aidé ces femmes à se libérer : en se saisissant de l'image de la "garçonne", des artistes ont fait d'elles de nouvelles "femmes fatales", en ajoutant à leurs tenues des quolifichets, du maquillage, du parfum : "Une nouvelle féminité s'invente alors et la haute couture, hostile à la "masculinisation", ne manque pas d'y contribuer. Les bijoux féminisent la silhouette d'éphèbe des garçonnes. le cou et la nuque dégagés mettent en valeur de grandes boucles d'oreilles. Les robes simplifiées se couvrent de bijoux fantaisie, broches [...]". le cinéma s'est emparé de la "garçonne" pour créer des personnages glamours là où ces femmes auraient pu tout simplement être considérées pour leurs qualités. Ainsi, a-t-on affaire à Greta Garbo et Marlène Dietrich, mises en scène pour répondre aux fantasmes masculins, desservant les revendications sérieuses des femmes. Après les années 30, "l'éternel féminin", la "femme fatale" retrouvera toute sa puissance, rassurant les uns et les autres quant à la place de la femme : au foyer, dans le lit des hommes, maman ou putain.
Cet essai richement documenté montre le cheminement de certaines femmes pour accéder à leurs droits, non pas pour égaliser les hommes, mais pour être reconnue comme être humain à part entière. Et comme le dit l'auteur à la fin de son ouvrage, l'histoire des garçonnes n'est pas terminée !
Les Garçonnes, Mode et fantasmes des Années folles, Christine Bard, éditions Autrement, 1991
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