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Yzabel-Desage-critiques-et-points-de-vue-de-lectures.over-blog.com

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Ce blog a pour but de partager mes critiques, avis et points de vue de lectures : romans contemporains et classiques, autobiographies et faits divers, théâtre, poésie, essais psychanalytiques, sociologiques, éducatifs, romans graphiques et BD, littérature jeunesse.


Chercheurs de diamants, Géraldine Doutriaux, 2019

Publié par Isabelle Desage sur 4 Août 2019, 18:29pm

Catégories : #essai, #autobiographie, #essai sociologique, #Education, #école

Chercheurs de diamants, Géraldine Doutriaux, 2019

Chercheurs de diamants, Géraldine Doutriaux, 2019

Voici un témoignage qui dépeint avec objectivité et honnêteté la solitude des enseignants face aux injonctions contradictoires de l’Education nationale. J’entends par injonctions contradictoires toutes les tâches que l’enseignant doit effectuer en supplément de ce pourquoi il est face à une classe : enseigner une matière, pour laquelle il a entrepris cinq années d’études supérieures (parfois davantage) ainsi que l’ardue préparation d’un concours. Et c’est ainsi que, sans formation aucune, l’enseignant doit effectuer le métier d’assistant social, celui de psychologue, de conseiller d’orientation, d’éducateur spécialisé. Chaque chapitre de ce récit évoque une de ces nombreuses fonctions qu’il faudrait connaître de façon innée par les enseignants. Mais la contradiction et la mauvaise foi du ministère ne s’arrête pas là puisque les programmes ne sont pas du tout adaptés à une grande partie des élèves qui n’ont pas acquis les bases du savoir élémentaire, dans l’ensemble des matières alors que ce même ministère interdit les redoublements. A cet effet, ce témoignage soulève le problèmes des élèves qui passent de classe en classe puisqu’il n’existe plus de classe dite de « transition » entre le primaire et le secondaire qui permettait de reprendre les bases avant l’entrée au collège : « Pour qu’Illies (élève de 6e) accepte les règles du système, il faudrait qu’il y ait une place, or s’il en a une, c’est la dernière. Il ne sait pas écrire, ne sait pas lire à voix haute, il est quasi illettré […] donc, il faudrait tout recommencer à zéro, lui réapprendre les fondamentaux, un prof particulier, cinq heures par jour : dictée, calcul, vocabulaire, lecture. Mais les parents n’ont pas d’argent ni la disponibilité pour lui organiser un tel programme : Alors rien, on ferme les yeux, on patiente jusqu’à la troisième où on pourra l’orienter vers une filière professionnelle où savoir bien écrire n’est pas une nécessité et en attendant on espère qu’il fera le minimum (écouter le cours, ne pas se bagarrer, ne pas insulter le prof) [...] »

Ce récit, tout à fait réaliste (je suis enseignante et je fais, hélas, les même constations que l’auteur), montre dans quel état se trouve l’éducation d’une certaine jeunesse vivant sans notion du passé, sans culture, ayant beaucoup de difficultés à lire, écrire, à comprendre un vocabulaire et des expressions simples. C’est ainsi que les préconisations et les programmes édictés par les pontes de l’EN sont devenues absolument irréalisables dans beaucoup d’établissements : « Mes élèves lisent très peu et ont pour la plupart un vocabulaire très réduit. Les mots un peu recherchés n’éveillent aucune image qui les aiderait à visualiser ce dont l’auteur parle. Or, sans l’assistance de cet imagier mental, la voix de l’auteur, telle une langue morte, ne rencontre aucun écho. Quand on a jamais mis les pieds dans un musée et vu de tableau ou de sculpture, est-ce qu’on peut comprendre Le Portrait de Gorki ou La Vénus d’Ille de Mérimée ? Bien des récits réalistes du XIXe siècle se trouvent ainsi éjectés de mes listes de lecture au fait d’une incapacité à se représenter ce dont ils parlent […] Le passé est si peu présent dans leur esprit -comment peuvent-ils apprécier un texte antérieur à 1950 ?- Leur environnement direct est solitaire et déraciné : les lignes verticales et horizontales d’immeubles récents, des grandes surfaces, un snack, des parkings… tout y est récent et pourtant déjà un peu usé, les jeux du square ont l’âge de mes élèves, même les poubelles ne franchissent pas la barre des cinq ans avant d’être mises à la casse […] les mots trop longs sont réduits en sigles […] les passions de chacun -musique, littérature, divertissement- sont filtrées par le grand Oeil, ce nouveau dieu, incarné par l’écran du téléphone portable ».

Dans le cadre de son métier, l’auteur, sans aide aucune de son inspecteur (à qui elle écrit à plusieurs reprises sans réponse) n’a de cesse de soutenir les élèves et de faire de son mieux, avec les moyens « du bord » pour tenter de les faire progresser (dans le cadre de son cours de français mais aussi, à l’aide de son atelier de théâtre). Mais un professeur a beau être engagé dans son travail et compétent, il ne peut pas y avoir de résultat sans travail de la part des élèves. Malheureusement, nous voyons dans ce récit (et à cet endroit-là aussi, mon propre constat est affligeant) que beaucoup d’élèves, une majorité, ne travaillent pas ou trop peu, ne rendent pas leurs devoirs, bavardent ou consultent leur téléphone portable en classe, n’ont que très peu de concentration et une mémoire à court terme. Ces mêmes élèves se scandalisent quand « avec des 7 en français, 6 en mathématiques, 8 en histoire, 5 en anglais… » et alors qu’ils n’ont pas acquis les connaissances et les compétences nécessaires pour passer en lycée général se voient proposer en fin de troisième des filières professionnelles. Ils s’insurgent, invectivent de façon virulente les équipes éducatives et font intervenir leurs parents, souvent très complaisants. Nous constatons de façon alarmante le comportement inadapté de ces jeunes gens pour qui tout doit être offert, sans effort. L’auteur se demande si, en toute honnêteté, il n’est pas dans le devoir de l’équipe éducative et des adultes en général de dire aux adolescents qu’ils font fausse route plutôt que de leur permettre d’accéder à un chemin qui générera de la déception et un sentiment de frustration, de haine et de rage, « sentiments à la mode chez les jeunes ». En tant qu’enseignante de lycée, je fais ce constat avec les secondes qui sont là parfois pour « voir » comme des clients de magasin ou « être avec les copains » sans se rendre compte de la masse de travail qui va leur incomber et des connaissances qu’il faut avoir acquises.

Ce récit ne critique pas les élèves. L’auteur fait le constat de ce qu’elle endure ou observe au quotidien quant aux violences physiques ou verbales, les refus ostentatoire de travailler ou d’écouter, le refus de respecter les règles de l’établissement, le désir de « casser le prof », les violentes bagarres, les insultes… L’auteur fait le constat d’un métier qui est devenu difficile physiquement et psychiquement (personne ne nous apprend à prendre de la distance avec les événements que nous vivons et généralement, l’épuisement se fait sentir au bout de quelques mois de travail) et qui n’attire plus ou très peu de candidats. Il est certain qu’avec Bac + 5, les gens n’ont pas envie d’attendre 10 ans pour toucher 2000 euros nets et encore moins d’être méprisé et/ou insultés. Ils ont aussi envie de faire leur métier et de ne pas se retrouver dans une position à double tranchant : devoir enseigner à des élèves qui ne veulent pas de cet enseignement et qui ont « la haine » du système scolaire. Les jeunes enseignants (jeunes dans le métier, pour ma part, je l’ai commencé à 40 ans), ne veulent pas passer leur temps à faire de la discipline ou de l’animation.

Je vous conseille, pour faire écho à ce récit un documentaire datant du mois de juin 2019 sur Youtube « Comment massacrer l’éducation : le mode d’emploi de l’OCDE et de la Commission Européenne, ainsi que deux témoignage : Prof et fière de l’être , de Fanny Capel, 2004 ainsi que  La Solitude du partisan  de Pascal Hérault, 2016.

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